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Etape 107: La grenouille dans l'eau bouillante

  • elo-diem
  • 25 juil. 2017
  • 3 min de lecture

Il est l'heure, tu te lèves pour la dernière fois au 1961 avenue Mont-Royal, tu mets ton énorme sac sur ton dos, tu dis “au-revoir”, “merci”, “je ne vous oublierai jamais” et tu marches tout droit vers l'aéroport. La boucle est bouclée, tu as réussi à aller jusqu'au bout. Ton cœur est tellement serré que tu as peur d'aller trop vite et de craquer, tu ne comprends toujours pas ce que tu fais, ni pourquoi tu le fais, mais tu le fais.

J'étais tellement émue.. Pourtant, aucune larme n'a coulée, à l'époque j'étais encore solide, le voyage m'avait rendue comme ça et je savais que j'allais revoir tous ceux qui me manquaient, je n'avais pas encore conscience de tout ce que je laissais derrière. A l'aéroport, quand je suis arrivée, ils étaient tous là, la fatigue m'avait volé toute énergie mais je n'oublierai jamais ces moments. Le début du retour a ce charme là: l'exaltation des retrouvailles et la curiosité: comment est devenu ce que j'ai laissé ? Comment mon nouveau moi va évoluer dans cet univers?

La première réponse est la suivante: tout est exactement identique.

Pour la deuxième il faudra attendre un peu.

Heureusement pour le nouveau lion en soif de mouvement que j'étais devenue j'ai eu la chance d'emménager à Bordeaux dans un sublime appartement et d'obtenir le job étudiant que je voulais. Mais voilà, je me suis retrouvée le cul sur une chaise en amphi, devant mon ordi à ne même plus me rappeler comment taper rapidement dessus, j'étais entourée de personnes plus jeunes que moi qui n'avaient jamais fait autre chose que du droit. J'avais décidé de la jouer solitaire au début, le temps de me réhabituer un petit peu. J'arrivais souvent en retard et m'asseyais par terre pour ne pas déranger. J'ai mangé toute seule au crous un bon nombre de fois sans que ça me gêne, la solitude ne me faisait absolument plus peur. Je continuais à boire du maté, à essayer de parler autre chose que le français, à marcher partout, tout le temps, vouloir tout découvrir, parler.

Et petit à petit… Le regard des autres, le tram, la pluie, les dissertations, les commentaires, les cas pratiques, les amphis, les interrogations, la participation, le travail, la pression, le couple qui explose et éclabousse de tout son long sur toi, les stylos, les factures, les codes, les articles, les arrêts, la doctrine, les notes, la présence, l'administration, le boulot, les horaires, les clients… Ils m'ont tout volé, tout doucement, j'ai rien vu venir. Je reprenais le temps de bien m'habiller, de me maquiller, de paraître bien, je faisais de nouveau attention à ce que je disais, je marchais moins, la fête était redevenue le centre explosif et exaltant de ma vie.. J'ai passé presque 3 mois à chercher autre chose à faire, prof des écoles, bénévoles, militante chez Greenpeace, n'importe quoi. Puis j'ai arrêté. J'étais redevenue celle que j'étais avant mon départ, la cage invisible.

Aujourd'hui avec le recul je peux vous dire ce que j'ai gagné et qui restera sûrement pour toujours: le sommeil, un meilleur niveau en langue, une minuscule part de courage, énormément de connaissances culturelles, de la curiosité, le goût des gens un peu aventuriers, la monstrueuse envie de repartir le plus vite possible, encore plus loin, plus longtemps, plus fort et l'intime conviction que tout est possible.

Après la pluie, vient le beau temps. Et je dirai que le soleil est réapparu en Italie fin février 2017. Pourquoi ? C'était un autre pays, j'étais avec Camille, cette alliée de Montréal, ce genre de personnes qui sont du miel en période de toux sèche. La relation toxique était terminée et surtout j'avais réussi à me créer une famille à Bordeaux. Une véritable petite meute de gens incroyables, qui ont été tous autant qu'ils sont, des béquilles imaginaires.

Le moule sociétal m'avait bel et bien eu, comme la grenouille qui ne sent pas l'eau qui chauffe petit à petit et qui finit par se retrouver ébouillantée vivante, la France m'avait remit dans les rangs. J’aimais ce que j'étudiais malgré la difficulté, je fumais des énormes clopes et me défoulais dès que possible sur les pistes de danses en vidant sauvagement de gigantesques longs Island. J'ai tenu comme ça, je suis revenue comme ça. Nous sommes des êtres adaptables, on peut tout faire, s'intégrer n'importe où comme des caméléons, il est difficile de vouloir rester différent quand on a besoin des autres pour vivre. Et on a tous besoin des autres pour vivre, alors sans s'en rendre compte on laisse nos chaussures de rando au placard prendre la poussière jusqu'au jour où… On décide de répartir.

NEPAL

 
 
 

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