Étape 117: On en reparlera quand il faudra porter quelque chose de lourd
- elo-diem
- 27 août 2017
- 5 min de lecture

Jeudi 17 août 2017
Réveil à 4h45, j'ai fais des cauchemars alors je mets un temps à me remettre dans la réalité, il fait nuit claire, ça commence doucement à se lever, comme nous. Avec momo nous nous étirons en silence. Une fois les sacs faits nous descendons pour boire notre thé, on mange quelques noix, on joue avec le chat et on s'en va. Il est 5h45, je souhaite bon courage au mec qu'on laisse tout seul avec sa femme en furie.
On met de l'eau dans les bouteilles et on avance, on a beaucoup de dénivelé positif ce matin. Petit à petit le ciel se découvre, on a traversé notre pont le plus haut depuis le début. Nous avons ensuite fait une pause et j'ai aperçu au loin un pic eneigé, j'ai crié aux filles "regardez", j'étais émue, je trouvais ça tellement beau, un sourire niais accroché aux joues. On a su quelques minutes plus tard en regardant nos cartes qu'il s'agissait tout simplement de l'Everest.
Nous depassons pour la première fois les 3000 mètres. Deux hommes français redescendent, ils doivent avoir un peu plus que notre âge, on les interroge. Ils ont 8kg sur le dos, un porteur, un guide, se lèvent tard vu leurs têtes lorsque nous expliquons qu'on démarre vers 5h30, ils ont eu l'avion pour aller à Lukla et nous confie n'avoir encore jamais vu l'Everest... On passe notre chemin, j'ai un second sourire qui se dessine, celui de la fierté, une phrase me vient en tête "l'égalité homme femme, on reparlera quand il faudra porter quelque chose de lourd". Nous portons 10 kg chacune, on en fait 25 de moins qu'eux, je vous laisse méditer tranquillement sur la question.
Nous arrivons à Namche, une ville immense perchée sur les montagnes, cest encore désert et tout le monde s'affaire à la construction pour la préparation de la saison. J'observe longuement les enfants en uniforme vert foncé aller à l'école main dans la main et me fait dépasser par un petit bout de chou de 50 cm qui saute à pieds joints sur les grosses pierres. La cloche sonne.

On est a 3500 mètres, le soleil a clairement fait son apparition il nous prend gracieusement dans ses bras comme un papa fier de ses enfants. C'est l'heure pour nous d'utiliser 2 nouveaux accessoires de mode: les lunettes de protection solaire catégorie 4, avec lesquelles chacune d'entre nous tient un rôle dans Matrix et la crème solaire qui nous fait croire un instant que nous sommes à la plage... Que nenni. Ça tape sévère et nos souffles font moins les malins, je fais clairement moins ma maligne.
On a ensuite pu zigzaguer à flanc de montagne, les bruits des criquets nous rappellent notre Sud, on est à plat, je suis totalement heureuse, mais vraiment, sentiment de plénitude. Il est 10h30 nous avons fait le plus gros de notre journée on est super fière de nous, on s'arrête dans une lodge pour manger, il y a une énorme terrasse où les porteurs prennent le soleil et où je prends le temps de vous écrire ces quelques mots avec mon thé au gingembre fumant à gauche de ma jambe.
On est repartie en descente en sachant pertinemment que nous allions devoir tout remonter alors psychologiquement c'était difficile. En bas il nous restait un pont, le tcheck de police et c'était parti pour remonter au plus haut depuis le début de cette aventure: 3820 mètres. Les nuages ont recouvert le ciel et des petites gouttes se sont mise à tomber pour nous rafraîchir. Il y avait 531 mètres et on allait mettre deux heures.
Quand je suis sur le moment dans l'effort je rédige un pamphlet dans ma tête "quelle connerie la montagne descendre pour remonter puis redescendre pour remonter", je rage sévère entre les gouttes de sueurs. Pourtant, une fois en haut j'ai complètement oublié le degré de douleur que je viens juste de subir, c'est instantanée. Je trouve ça génial, mon cerveau ne stock pas cette information.
Vers 3700 Morgane et moi commencions à avoir des fous rires sans queue ni tête. Je mettais 10 min à passer de la pensée à l'acte, j'avais la tête en pastèque, j'atteins la Lodge comme si j'étais complètement bourrée.
On a rattrapé les italiens et ça ça nous fait du bien à l'égo! Il était 16h on était complètement affamées on a demandé des pâtes avec du fromage de yack rapé et de la sauce tomate, on s'est littéralement jetées dessus devant les yeux écarquillés des hôtes, en 5 minutes les assiettes étaient vides.
On est monté de 1000 mètres alors qu'il est conseillé de n'en faire que 600 par jour, nous avons marché presque 10h alors qu'il est conseillé de faire entre 6 et 8 heures, nous avons 10 kilos alors qu'il est conseillé d'en avoir maximum 8, bref, les conseils c'est pas notre truc. Mais il va falloir ralentir la cadence car l'altitude ne pardonne personne, surtout pas trois petites pinbéches mortes de rire sur le bord du chemin.
On s'est mise toutes les trois devant le poêle pour se réchauffer la tronche, ça faisait tellement de bien. Mon attention a été attirée par une télé qui sortait de nul part, avec une émission atroce où des multimillionnaires comparent leurs gigantesques et angoissantes baraque à 8 piscines, 4 salle de bain, 2 jaccuzzis... J'étais révoltée, sur le chemin aujourd'hui j'ai croisé un gosse de 13 ans qui aidait son père et portait un panier qui faisait deux fois sa taille, ses chaussures ouvertes étaient cassées. Tout à l'heure dans la montée, je suis passée devant un vieux porteur qui avait des planches immenses posées à côté de lui, il sentait l'alcool, il avait le visage tout gonflé et il pleurait... Oui il pleurait...
Et là, là, quand ils allument la télé ils voient ces putains de bullshit de meuf qui se font relooker parce que leurs maris n'ont plus envie de les fourrer? Je fais partie de ce monde je le sais et je suis ici en sale vicieuse voyeuriste déguisée mais j'ai la lucidité suffisante pour comprendre qu'on est sur la mauvaise route, que nos vies n'ont aucune consistance, que c'est affligeant.
Je dégaine mon crayon invisible et note dans un coin de ma tête toute cette réflexion juste au cas où un jour je gagne 10 000 euros par mois et hésite à me faire refaire les seins pour plaire à mon mari. S'ouvrira alors mon carnet de note et Ô malheur! Je serai obligée de tout laisser tomber pour venir ici donner à ce sherpa ce qui lui manquait aujourd'hui pour être heureux et à ce gosse la possibilité de faire autre chose que porter des panniers toute sa vie.
Il est 18h15 nous ne nous sommes pas lavées aujourd'hui, Jordane lit, morgane dort et je vous écrit. J'ai regardé toutes mes photos, envoyé quelques sms à ceux que j'aime et je suis dans mon duvet, la nuit tombe. Je sais que je vais avoir du mal à dormir, j'ai la tête dans un étau, soudainement et comme chaque soir, j'ai froid, loin de vous.
Bilan: 13 km 1300 mètres de dénivelé positif 200 mètres de dénivelé négatif 9h de marche Je me suis plantée J'ai une équerre dans le cul. Euh un compas dans l'oeil plutôt non?
Comments