Étape 119: Moins que rien

Samedi 19 aout 2017

4h30 le réveil sonne la nuit fut plus que mouvementée, nous nous sommes réveillées en sursaut et presqu'en même temps quand une armée de rat et de souris courraient au dessus et autour de nous dans les murs. 

À 5h20 nous démarrons pourtant, il fait encore un peu nuit quand nous nous enfonçons dans la jungle, ambiance forêt interdite d'Harry Potter puissance huit mille. On est en descente, ça me fait juste du bien de marcher, d'avancer, je retrouve mon corps, c'est lui et moi, mon cerveau n'est plus de la partie.

Nous passons des zones déboulement gigantesques, nous sommes à côté du rapide, ce qui empêche d'entendre quoi que ce soit. Un des ponts en fer que nous traversons habituellement est totalement décroché et tombe dans les rapides, on se retrouve sur de la terre fraîchement éboulée à 15 cm de l'eau, je regarde en l'air en fixant les cailloux d'un air de dire "restez calmes les mecs" puis le sol, puis l'eau, je marche vite.

Nous traversons un pont, la vue est dégagée, il ne pleut plus mais il fait froid. Nous nous couvrons et mangeons un snickers chacune.

Nous atteignons la limite des arbres, il n'y en a plus un seul, nous avons dépassé les 4000 mètres, nous allons bien, notre souffle est plus court et on est plus lentes, parfois j'ai des petites pressions dans la tête mais ça passe rapidement. Nous tentons un chemin bancale pour rejoindre Perriche, le genre de truc où il fallait traverser le torent, des locaux nous font signe de l'autre côté du rivage de faire demi tour. Nous y arrivons enfin en 4h30, affamées. Nous prenons des momo et un spring rolls au fromage de yack.

Vous auriez vu ça, nous étions dans une plaine de plusieurs kilomètres de long entourées de montagnes gigantesques, on ne voyait rien au-delà, il n'y avait aucune forme de vie et je savais que nous allions monter à 4600 soit une progression de 800 mètres par rapport à hier... Ce qui est trop... Nous marchions lentement, je me sentais seule, je sais que j'avais Morgane et Jordane (heureusement d'ailleurs), elles ont prit les commandes pendant que je m'enfonçais dans un mutisme profond. Je me sentais tellement rien, tellement faible, tellement bloquée, tellement perdue.. Nous avons passé un village de pierre complètement abandonné. Nous continuons de monter et j'aperçois au loin des porteurs, je souffle, ça me rassure, bien plus que toutes les gymnastiques que j'étais en train de créer en interne pour chasser ma peur. Je retrouve la parole, je rigole, soulagée. De vous à moi j'ai quand même super hâte de le faire ce putain de camp de base et redescendre ces 10 jours de marche. Ça vous fait pas peur vous de vous dire que la civilisation est à 10 jours de marche bordel? À l'ère de l'instantanée je peux vous dire que ça calme. La dernière zone d'éboulement que l'on passe lui aussi elle calme, le pont bancale au dessus des rapides il calme et l'absence de réseau pour prévenir ses proches, et notre Lodge sans eau, sans électricité, sans chauffage elle calme elle aussi, elle te remet tranquillement bien à ta place de moins que rien.

Il y a un petit bout de chou dans l'auberge qui me fait craquer, j'ai continué mon livre mais j'ai dû arrêter car je suis arrivée au moment traumatisant et je n'ai pas les épaules pour l'instant. Nous avons mangé des délicieux plats agglutinées autour du poêle qui chauffait à peine. Il est 18h45 Momo dort à ma droite, il pleut dehors, je vous écris à la frontale dans mon duvet avec les chaussettes en laine, mon legging mon pantalon polaire, mon pull, mon bonnet péruvien et je ne sens plus mes mains, je ris en écrivant ça tant la situation me paraît caucase. Il fait 10 degrés à ma montre les gars, c'est du lourd. Nous n'avons pas mi de réveil car nous restons ici deux jours pour la seconde acclimatation, ensuite il restera 2 jours de marche et nous aurons fait le camp de base... Qui est la connasse qui a eu cette idée ?  Bilan:  200 mètres de dénivelé négatif  800 mètres de dénivelé positif  15 km parcouru  8h de marche