Étape 123: Bravo les enfants
- elo-diem
- 4 sept. 2017
- 5 min de lecture

Mardi 22 août 2017
Je ne sais pas par quel miracle nous sommes arrivées en un seul morceau dans cette auberge mais c'est comme ça que c'est arrivé, en un seul morceau. Nous entrons comme des zombies dans un grand salon éclairé, nous dégoulinons, chacun de nos pas est une flaque de plus sur le parquet ciré. On se rue vers le poêle et mettons un petit temps avant de remarquer que plusieurs personnes nous observent en silence. Nous sommes dans une auberge réservée par un groupe de 30, ils viennent d'Arabie Saoudite et vont eux aussi tenter le camp de base. Au début personne ne parle puis les femmes du groupes dans un anglais parfait nous inondent de questions, la glace se brise. Les hommes nous montrent des photos, nous félicite, c'était assez déroutant de se retrouver aussi entourées après 10 jours de grande solitude. Je n'ai pas eu le temps de reprendre mon souffle. On a bien rigolé dans notre chambre sans électricité avec des trous à rats. Les pires situations en deviendraient presque toujours les plus drôles. Une des nanas a passé la soirée à nous montrer des selfies d'elle pendant un de ses trek en Égypte, nous n'avons pas vu un seul paysage de cette histoire avec Morgane. On se cale comme des grosses larves à trois sur deux lits collés, Jordane s'endort déclarant forfait de manière exhaustive "je vous préviens je ne fais rien", un étage et un couloir film d'horreur nous sépare des toilettes. On s'endort dans notre nid en oubliant les plumes perdues au creu des montagnes, en oubliant les cris, les larmes, les douleurs, les dangers et la pluie, Morphée nous chuchote doucement aux oreilles "bravo les enfants", nous caresse les joues et enfin nous câline généreusement.

Mercredi 23 août 2017
Au milieu de la nuit j'ai remarqué que je ne sentais plus mon gros orteil du pied droit... voilà. 5h le réveil sonne, Momo allume sa frontale euh la lumière ou sa frontale ou la lumière... Impossible de savoir. Nous quittons la lodge, je marche avec la vue trouble pendant une demi heure, une belle migraine ophtalmique pour célébrer le trop plein d'émotion d'hier. Il pleut. J'active le mode robot, un pied puis l'autre, un bâton puis l'autre et j'émerge, je me réveille en sursaut quand je trébuche sur une pierre ou qu'il faut traverser un pont. Nous mangeons une moitié de snickers chacune et avançons jusqu'à Tengboche. Nous empruntons donc tous les chemins que nous avons déjà foulé du pieds, nous connaissons le dénivelé, les zones d'éboulement, les ponts cassés.. Nous croisons des touristes, les avions ont repris à Lukla et ce serait mentir de vous dire que l'on ne se sent pas un peu warrior quand nous redescendons et qu'eux montent. On croise un père avec son fils handicapé, une vieille dame en sueur, une femme forte à bout de souffle, tout le monde donne cette impression d'être ici pour quelque chose de plus haut que l'Everest lui-même. Nous mangeons dans notre auberge avec notre petit papy qui marmone ses prières, il nous montre toutes ses dents du bonheur, je joue un peu avec mon bébé veau du dehors. Nous repartons, nous descendons des chemins en nous demandant à chaque pas comment on a bien pu faire pour les monter... C'est tellement impressionnant.. Nous prenons notre temps, le soleil est de la partie cet après-midi, comme une petite récompense bien méritée, en clin d'oeil. Nous faisons une pause à la grande terrasse avec un thé face au mur de végétation qui s'élève jusqu'aux nuages, du vert puis du blanc, rien d'autre, l'Himalaya. Nous prenons des photos, conscientes que c'est sûrement la dernière fois que nous traversons ses lieux, la nostalgie s'accroche déjà légèrement à nos épaules comme un petit foulard invisible que nous trainerons sûrement bien après être rentrées à la maison. Nous sommes bloquées par des chamois, ils n'ont pas l'air de deconner et moi j'ai vraiment pas envie de mourir chargée par une chèvre après tout ce qu'on vient de se taper... Je prends la fuite. Morgane a un reflex assez étrange: elle grimpe sur un rocher, c'est vrai que les chamois sont totalement incapables de l'atteindre à cette hauteur, ces animaux de la montagne si peu habiles.... "Oh un requin cachons nous vite au fond de l'océan", fou rire. Une locale est venue à notre secours. Nous arrivons enfin à Namche. Prenons des douches et mangeons pour 6. Tout le monde s'endort... "Et! Elo! L'actrice c'était Nathalie Baye"

Jeudi 24 août 2017 4h30 le réveil sonne, Morgane nous murmure un "les filles... c'est le dernier jour de marche" j'ouvre grand les yeux, c'est vrai, c'est le dernier jour de marche! On descend manger nos pancakes et boire nos thés, il fait encore nuit, nous sortons, Namche dort, tous les chiens nous suivent, nous descendons encore des montagnes gravies avec je ne sais qu'elle force. L'Everest nous nargue derrière les nuages, on repasse le grand pont, on sait où aller et comment y aller. La journée est pourtant très difficile, c'est peut-être psychologique parce que nous savons que c'est la fin, le soleil tape, la pression est redescendue avec toutes nos forces, on se fait des ampoules, on rale, on a envie que ça s'arrête, on a envie de s'arrêter. On croise encore énormément de touristes, dont un groupe de 4 espagnoles avec une blonde que l'on a vu arriver de loin avec fond de teint, eye liner, mascara, boucles d'oreilles de 6 mètres de long, chaussures de ville... Elle me demande s'il y a de l'eau chaude en haut, si c'est difficile.. Je lui réponds que non il n'y a pas d'eau chaude et que oui c'est difficile. Elle me dit "un conseil: fais attention à ne pas marcher dans les bouzes de vache c'est vraiment une mauvaise idée...", je lève un sourcil et lui montre mes chaussures pleines de boue d'un air de dire "c'est vraiment le cadet de mes soucis meuf". Je ne sais pas si cette fille a atteint le sommet mais ce jour-là ça avait quand même l'air mal parti et je plains les porteurs de tous ces touristes qui ont sur le dos des conneries de maquillage et de bijoux en toc dans des villages qui n'ont pas l'eau courante.
Le jour tombe petit à petit et nous sommes encore loin de Lukla. On enlève nos k-way, on boit et on se met un gros coup de pied au cul. J'active mon mode "vitesse supérieure" pour la dernière montée, c'est le moment de se déchirer, d'aller chercher tout au fond de toi, de te dire qu'après c'est terminé, de suer par grosses gouttes. Je double des enfants qui sortent de l'école, des porteurs, des touristes, je suis concentrée et fixe le sol. Je me revois faire exactement la même chose au Pérou, j'aime quand mon corps me montre qu'il est fort, il grimpe, il grimpe, je souffre, je souffle... J'aperçois l'arche de Lukla, je me mets à rire nerveusement, c'est terminé, mes poings se serrent, ma mâchoire, mes yeux, "yeeeeesss!" hahahahaa bordeeeeel! On a réussi!
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